La polygamie vue d’un œil adolescent…
À 17 ans, on a rarement la maturité de comprendre ce que le mariage implique. Imaginez vous être la coépouse d’une femme qui peut être votre mère. Ou être l’épouse d’un homme qui a l’âge de votre père. J’ai été bouleversée par le roman de Djaïli Amadou Amal, Les impatientes. Il y a parfois des fictions qui racontent bien mieux la réalité, je vais ici les mettre en miroir.
La Fiction :
Dans ce roman, il s’agit de trois destins croisés. Trois femmes : Ramla, Hindou et Safira, dont les droits sont bafoués au prisme de la tradition ancestrale. Ramla et Hindou ont 17 ans toutes les deux. Elles sont de même père Alhadji Boukari et de mère différente du fait de la polygamie. Ramla en classe de Terminale Scientifique ne pourra pas poursuivre « ses ambitions de devenir pharmacienne »p.36. Elle doit arrêter l’école après les examens de fin d’année pour devenir la deuxième femme de Alhadji Issa. Contre son gré, Ramla doit respecter la décision de son père et de ses oncles pour la perpétuation de la tradition peule.
Les lois de la tradition volent le bonheur et la jeunesse de la jeune fille. Elle crie à l’aide, mais personne pour lui répondre; ses pleurs sont engloutis par les cris du cortège nuptial: <<Sauvez-moi, je vous en supplie, on me vole mon bonheur et ma jeunesse ! […]. Sauvez-moi, […]. Sauvez-moi, […] Sauvez-moi […]>>, p. 102.
Hindou la demi-sœur de Ramla se retrouve mariée de force à Moubarak, son cousin. Un arrangement entre son père et son oncle Moussa, le père de son futur mari. Ce mari qu’elle « a toujours vu mais jamais connu », p. 107. Moubarak est un ivrogne mais surtout un violeur.
Safira quant à elle, est la femme depuis 20 ans de Alhadji Issa, l’homme le plus puissant de Maroua. Celui-ci décide sans son consentement de prendre pour deuxième femme Ramla. Alors, Safira va se transformer en une véritable ennemie pour sa coépouse Ramla pour qui elle pourrait être une mère.

La Réalité :
Que dit la déclaration universelle des droits de l’homme sur le mariage ?
Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux.
Article 16 de la déclaration des droits de l’homme
Que disent les Nations-Unies quant à la notion de mariage précoce :
On entend par mariage forcé tout mariage dans lequel l’un des conjoints au moins n’a pas personnellement donné son consentement plein, libre et éclairé à l’union. Un mariage d’enfants est considéré comme une forme de mariage forcé car au moins l’un des conjoints n’a pas librement exprimé son consentement plein, libre et éclairé.
Le HCDH, les droits des femmes et l’égalité des genres
Chaque année, on dénombre environ 12 millions de jeunes filles qui sont mariées avant l’âge de 18ans.
Un mariage trop précoce peut-il vraiment être considéré comme consenti ?
Le mariage forcé détruit les ambitions sociales de la jeune fille. Comme on peut le constater dans le roman, Ramla, qui est en Terminale scientifique ne pourra pas continuer ses études universitaires pour devenir pharmacienne. Plus clairement, on constate que le drame du mariage forcé est la fin brutale des études des jeunes filles. Elles deviennent des esclaves sexuels et domestiques. Hindou peut en témoigner malgré elle : <<[…] Alors ? Tu viens de ton propre gré ou tu préfères que je vienne te chercher ?
— S’il te plaît… » Il se lève brusquement et, d’un mouvement imprévisible, me jette brutalement sur le lit et arrache mes vêtements. Je me défends autant que je le peux. Quand il déchire mon corsage, je le mords farouchement. Il retire sa main d’où perlent des gouttes de sang. Furieux, il se met à me frapper. Je crie, je me débats, quand un coup violent m’assomme, et je tombe en travers le lit>>, p.119.
La polygamie vue d’un œil adolescent nous fait rentrer au cœur des émotions cachées des jeunes filles qui regardent sans force ni défense leur avenir et leur rêve fuir devant elles.
L’accès à l’éducation des jeunes filles
Les Nations Unies nous indiquent que dans le contexte du Covid 19, la fermeture des écoles et les problèmes économique ont aggravé cette situation. Car une des clefs, c’est l’éducation des filles :
Au cours des dix dernières années, 25 millions de mariages d’enfants ont été évités dans le monde grâce à l’augmentation du taux d’éducation des filles, à l’investissement proactif des gouvernements dans les adolescentes et à une plus grande sensibilisation du public aux préjudices causés par les mariages d’enfants
Mariages d’enfants et mariages forcés, y compris dans les situations de crise humanitaire
L’un des objectifs du développement durable à l’horizon 2030 sur le continent africain est l’éradication totale du mariage forcé chez les moins de 18 ans. Les gouvernements africains se sont engagés à mettre fin à ce fléau. Le mariage forcé est un énième phénomène d’inégalité sociale qui peut constituer si je ne m’abuse un facteur du sous-développement sur le continent. On ne peut pas prétendre parler de développement et de transformation et priver de liberté et de droit les acteurs du changement.

Source « banque Mondiale » octobre 2016
La révolte
Dans le roman « les impatientes », Ramla fait le choix à un moment de fuir pour sa liberté:
<<Ramla était partie avant l’aube. Elle avait affronté les dangers de la nuit et s’était évanouie dans la nature. […] elle s’est enfuie dans la nuit, laissant toutes ses affaires. […]>> p.329. Cette fuite lui a permis de retrouver son bonheur, son frère bien aimé et son ex fiancé qui résidaient désormais à la capitale.
L’actualité de cette fin d’année 2022 nous montre la révolte des femmes iraniennes pour leur droit et leur liberté. Je rappelle les faits : #Mahsa_Amini est arrêté le 13 septembre 2022 par la police des mœurs iranienne parce que son voile couvrait de moitié sa tête . Trois jours plus tard, elle meurt après son interpellation le 16 septembre. En hommage à cette jeune dame de 22 ans, certaines femmes décident de se filmer en train de se couper les cheveux et brûler leur hijab. Cette méthode révolutionnaire de plusieurs milliers d’années marque le mécontentement, la protestation et la révolte contre les exactions faites aux femmes dans un pays où l’homme a le dernier mot.
Est-ce à dire que la meilleure stratégie de défense pour les droits des femmes réside dans la capacité de celles-ci à se lever et à dénoncer les inégalités qu’elles subissent chaque jour? Mais cette stratégie n’a pas forcément eu les résultats escomptés. Encore aujourd’hui, pour sauver son propre bonheur il faut fuir comme l’a fait Ramla. Fuir loin de sa famille, de son pays. Parce que les coutumes et les traditions pèsent encore très lourdement dans les sociétés contemporaines. Le droit est une utopie, seuls les devoirs sont des réalités. Il faut dire que tradition et bonheur ne font pas bon ménage.
La polygamie vue d’un œil adolescent présente les contours souvent cachés des intérêts traditionnels de nos familles patriarcales. À côté d’exprimer une volonté de perpétuation, se camoufle la volonté d’accroître sa richesse financière.

Pexel. Femmes iraniennes 2022
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